Le cassoulet : toute une histoire !
Plus d’une ville revendique ce ragoût de haricots et de viande, et ses origines exactes ne sont pas claires. Mais une chose est sûre : ce plat est un classique français vieux de plusieurs siècles !
Dans le Sud-Ouest de la France, le cassoulet est plus qu’un roi : c’est Dieu lui-même. C’est en tout cas ce qu’affirmait le célèbre chef de la belle époque, Prosper Montagne, et près d’un siècle après qu’il l’ait dit, personne ne le conteste. Cet humble ragoût de haricots fait partie de l’identité culturelle de la région Occitanie au même titre que le rugby et le vin rouge.
Ce n’est pas grand-chose au final : un plat mijoté de haricots blancs et de viande (trois types différents sont apparemment obligatoires dans chaque plat, selon les États généraux de la gastronomie française de 1966, une sorte de concile du Vatican pour la nourriture française), agrémenté d’ail et de grandes quantités de graisses animales. C’est un plat extrêmement réconfortant, mais le culte du cassoulet n’est pas que paix et amour. Comme le dit le chef André Daguin, “le cassoulet n’est pas vraiment une recette, c’est une façon de se disputer entre villages voisins de Gascogne”.
On se dispute sur le contenu de la marmite (traditionnellement une cassole en terre vernissée, fabriquée spécialement dans le village d’Issel, dans l’Aude), sur le mode de cuisson et, surtout, sur le mérite de l’invention du cassoulet. Comme le note l’écrivain Jeanne Strang, si sept villes grecques revendiquent la paternité d’Homère, autant de villes du Sud-Ouest de la France s’affichent comme la patrie du cassoulet. Cependant, selon Prosper Montagne, il y a trois principaux prétendants. Bien que fils de Carcassonne, le chef admet que le cassoulet de Castelnaudary, à environ 40 kms à l’ouest, est “Dieu le Père”, nommant la version de Carcassonne “Dieu le Fils”, tandis que les habitants de la capitale régionale de Toulouse doivent se contenter de manger le “Saint-Esprit”.
C’est ainsi que Castelnaudary, lieu agréable situé sur le Canal du Midi (qui relie Toulouse à la Méditerranée), mais offrant peu d’attraits touristiques par rapport à ses rivales, se voit généralement attribuer le droit de se vanter. En réalité, comme l’admet la Confrerie du Cassoulet de la ville, qui se consacre à la promotion et à la défense de ses traditions, “tenter de retracer la véritable histoire des origines du cassoulet n’est pas une mince affaire, compte tenu des passions enflammées qu’il suscite”.
Le mythe de la création du cassoulet remonte à la guerre de Cent Ans, lorsque les habitants de Castelnaudary, assiégés par les Anglais, mirent en commun les vivres qui leur restaient pour concocter un plat si copieux que leurs hommes purent repousser les hordes nordiques jusqu’à la Manche. Une histoire passionnante, mais presque certainement fictive, car ce siège n’a pas eu lieu. Édouard le Prince Noir a simplement mis la ville à sac sur son chemin de Bordeaux à la côte méditerranéenne, emportant probablement la plus grande partie de la nourriture avec lui. Plus important encore, les Gaulois mangeaient du porc et des ragoûts de lentilles des siècles avant que l’Angleterre n’existe.
La Confrérie suggère un lien intéressant avec le recueil de recettes “extrêmement sophistiqué” du XIIIe siècle attribué à Mohamed de Bagdad, dont les ragoûts de mouton épicés aux légumineuses pourraient bien avoir influencé les cuisiniers français du Moyen-Âge. Cependant, les haricots blancs, aujourd’hui synonymes de cassoulet, ne sont apparus qu’au XVIe siècle, lorsqu’ils sont arrivés du Nouveau Monde avec Christophe Colomb. Avant cela, les fèves auraient été la norme, une tradition parfois ravivée dans les restaurants locaux ; en effet, un exemple à base de fèves a atteint la finale des Championnats du monde de cassoulet en 2018. Aujourd’hui, les haricots locaux sont privilégiés, chaque chef attribuant des qualités particulières à sa variété préférée. Le haricot tarbais, qui a obtenu une Indication Géographique Protégée de l’UE, est l’un des plus populaires.
L’élément viande est encore plus controversé, bien que de nombreuses autorités gastronomiques prétendent le contraire. Le regretté Joël Robuchon, le chef le plus étoilé de l’histoire, a admis avoir “manqué de courage en choisissant de manière décisive entre les trois villes célèbres qui ont des prétentions convaincantes à être la maison authentique et la gardienne de ce plat le plus célèbre de l’histoire de la gastronomie française”. Mais il s’est senti suffisamment sûr de lui pour expliquer la différence entre chaque type. Selon son livre Reflets de France, coécrit par l’historien Loic Bienassis, le cassoulet de Castelnaudary contient généralement de l’oie ou du canard confits, celui de Carcassonne des côtes de porc et celui de Toulouse du mouton et la fameuse saucisse de la ville. “Ces distinctions, écrit Robuchon, en masquent de nombreuses autres sur la durée de cuisson et l’ajout de tel ou tel ingrédient.
En réalité, les distinctions elles-mêmes ne valent guère le papier sur lequel elles sont écrites, car, comme pour tant d’autres choses liées au cassoulet, il n’y a pas deux sources qui semblent s’accorder. La viande de mouton, déclare l’encyclopédie “On va déguster : la France !” (en contradiction directe avec Robuchon), ne se trouve qu’à Castelnaudary et à Carcassonne – où la perdrix fait aussi parfois son apparition. Le chef triplement étoilé Michel Guerard a déclaré à l’écrivaine américaine Paula Wolfert que “faire un cassoulet sans mouton, c’est être banal et, à mon avis, c’est une hérésie. La viande de mouton est indispensable dans un cassoulet”. Deux ans plus tard, Wolfert écrit dans son livre The Cooking of South-West France qu’il a changé d’avis et qu’il a remplacé le mouton par du canard confit.
Les puristes insistent sur le fait que l’utilisation de la chapelure est un sacrilège et qu’il faut incorporer sept fois une croûte dans la sauce pour obtenir la bonne texture. Les tomates, quant à elles, sont soit indispensables, soit absolument inauthentiques. Mille autres petits détails font également l’objet d’âpres discussions. Il semble d’ailleurs qu’il y ait autant de cassoulets que de cuisiniers. Le Tarn, à l’est, le prépare avec de la morue salée, des fruits de mer et du safran, tandis que les Corbières y ajoutent une oreille et une queue de porc, et que le chorizo fait parfois son apparition vers la frontière espagnole. Guerard a imaginé une version allégée, trois fois moins calorique, et le Grand Banquet annuel de Toulouse, place du Capitole, propose même une option végétarienne pour répondre aux goûts du moment.
Il est certain qu’autrefois, le cassoulet était souvent préparé sans beaucoup de viande, car il s’agit d’un plat paysan, destiné à étoffer des morceaux relativement bon marché avec des haricots encore plus bon marché. Toutefois, en 1966, les États généraux de la gastronomie française ont décrété qu’un authentique cassoulet devait être composé de 30 % de viande. En règle générale, le tout est cuit à petit feu dans le four du boulanger local (ce qui n’est malheureusement pas une option pour la plupart des gens aujourd’hui). Il ne s’agit certainement pas d’un plaisir à précipiter : l’écrivain parisien du XIXe siècle Anatole France a même affirmé avoir connu un restaurant où une marmite de cassoulet bouillonnait doucement depuis 20 ans.
Pour ne pas décourager les amateurs de cassoulet, sachez qu’il ne faut qu’un après-midi pour le préparer et qu’il existe des versions en conserve parfois très bonnes. La première fabrique de cassoulet au monde, La Maison Bouissou, a ouvert ses portes à Castelnaudary en 1836. La ville reste aujourd’hui l’épicentre de la production, responsable de 80 % du cassoulet que l’on trouve dans les supermarchés et les épiceries françaises. C’est à chacun de décider s’il contient Dieu lui-même ou s’il s’agit simplement d’un dîner assez satisfaisant. Mais vous connaissez ma position sur le sujet.
Je vous invite par ailleurs à consulter ma recette du cassoulet dans sa version chaurienne